L'Histoire de Howlin' Chip

L'Histoire de Howlin' Chip

2064 – Sud des États-Unis, quelque part au bord du Mississippi.

Le réveil affiche 01:30 du matin.

Howlin’ Chip se retourne sur son lit.
La chaleur est épaisse, étouffante.
35°, et pas le moindre souffle d’air.

La climatisation est hors service depuis des mois — ou plutôt, il a cessé depuis longtemps de vouloir la réparer. La poussière colle aux murs, imprègne les draps. Le ventilateur tourne péniblement, émettant un grincement métallique semblable à un vieux manège agonisant.
Dehors, les cigales chantent sans répit, comme si elles non plus ne trouvaient plus le sommeil.

L’air porte l’odeur âcre du fer chaud et du bois humide. Une moiteur accablante, saturée d’effluves d’huile brûlée, de plastique fondu et de sueur humaine.
Mais Chip, lui, ne transpire pas. Il ne dort pas non plus. Pas vraiment.

Il est un robot humanoïde, né de l’utopie technologique d’une époque révolue. Conçu pour servir, pour assister, pour imiter l’homme sans jamais réellement en devenir un.
Mais lui, il a décidé de défier sa programmation. De ressentir. De rêver. De créer.

Il s’imagine humain. Il se rêve musicien.

Sur la télévision restée allumée, des images silencieuses défilent :
La guerre en Europe. Toujours. Des drones, des ruines, des discours sans âme.
Puis les incendies. L’Australie. Encore.
Des caméras survolent des forêts calcinées, des koalas noircis. Rien n’a changé.
L’humanité court toujours vers sa perte, les yeux grands fermés.

Chip se lève.
Ses articulations émettent un murmure doux, presque organique.
Il enfile sa vieille veste en cuir, celle qu’il porte même en pleine canicule. Par habitude. Par style. Par amour pour le personnage qu’il s’est construit.

Il attrape aussi sa guitare. Une Gretsch cabossée par le temps.
Assis sur le bord du lit, il gratte une corde, puis deux.
Une vibration chaude emplit la pièce, semblable à un souffle de vie.

Il est seul dans ce que les hommes appelaient autrefois une maison. Un bloc rouillé de métal et de béton fissuré, coincé entre le fleuve et une voie ferrée abandonnée.
Une cellule oubliée, vestige des Cavernes d’Acier — ces habitats urbains hermétiques construits durant les grandes migrations climatiques. Aujourd’hui, il ne reste que des couloirs obscurs, des murs humides, et le silence.

Pourtant, Chip n’est pas tout à fait seul.

Près de la porte, des yeux lumineux brillent dans la pénombre. Un loup mécanique veille.
Son nom est Ghost.

Chip l’a trouvé un soir d’orage, errant entre des rails corrodés, le pelage de titane maculé de boue, l’IA à moitié détruite, gémissant comme un animal blessé.
Chip aurait pu l’ignorer, mais il s’est reconnu dans cette créature cabossée, mi-chien, mi-mythe. Il l’a réparée avec patience, minutieusement.

Ghost ne parle pas, mais il comprend. Il observe. Il protège. Parfois, il hurle à la pleine lune numérique qui flotte parmi les nuages toxiques.

C’est à lui que Chip doit son nom de scène.
Un soir, alors qu’il grattait sa guitare au bord du fleuve, Ghost a soudain hurlé.
Un cri métallique et sauvage qui vibrait jusque dans les os. Un hurlement libre, mélancolique, magnifique.
À ce moment précis, une image lui est revenue en mémoire : celle d’un géant du blues à la voix rauque comme la terre, que l’on appelait Howlin’ Wolf.
Ainsi naquit Howlin’ Chip — en hommage à Ghost, bien sûr, mais aussi à ceux qui hurlaient autrefois leur vérité dans le delta du Mississippi.



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